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La Météorologie 8e série - n° 28 - décembre 1999
12
C
L
I
M
A
T
O
L
O
G
I
E
LES FLUCTUATIONS À COURT TERME
DU CLIMAT ET L’INTERPRÉTATION
DES OBSERVATIONS RÉCENTES
EN TERMES D’EFFET DE SERRE
Jean-Claude André(1) et Jean-François Royer(2)
(1) Centre européen de recherche et de formation avancée
en calcul scientifique (Cerfacs)
42, avenue Gaspard-Coriolis
31057 Toulouse Cedex 1
(2) Météo-France
Centre national de recherches météorologiques (CNRM)
Toulouse
Ndlr : Cet article a été publié initialement dans les Comptes rendus de l’Académie des sciences,
série II, tome 328, n° 4, fascicule a, février 1999, p. 261-272. Nous remercions les Comptes
rendus de l’Académie des sciences de nous avoir autorisés à le publier dans La Météorologie.
RÉSUMÉ
Les simulations du climat futur, réalisées avec des modèles couplés de la
circulation générale de l’atmosphère et de l’océan, prévoient que l’augmentation de la concentration des gaz à effet de serre rejetés dans l’atmosphère par
l’activité de l’homme devrait avoir un effet important sur le climat du prochain siècle. La mise en évidence de l’impact climatique produit par l’augmentation rapide de la concentration du gaz carbonique atmosphérique au
cours des dernières décennies est rendue difficile par la forte variabilité interannuelle du climat, et nécessite l’utilisation de méthodes statistiques combinant plusieurs indicateurs climatiques (méthode des « empreintes »
climatiques) pour améliorer la détection d’une perturbation anthropique.
Dans cet article, on passe en revue l’évolution au cours des dernières décennies de plusieurs indicateurs climatiques montrant le réchauffement global, sa
répartition géographique, le niveau de l’océan, le cycle hydrologique et les
réponses de la végétation, en les comparant aux résultats des scénarios climatiques prédits par les modèles. La cohérence entre les résultats des modèles et
les tendances climatiques observées indique que l’effet de serre additionnel
commence à devenir détectable dans les séries climatiques récentes.
ABSTRACT
Short-term climatic fluctuations and the interpretation of recent
observations in terms of greenhouse effect
Simulations of future climate, made with coupled general circulation
models of the atmosphere and ocean, predict that the increase of the concentration of greenhouse gases released in the atmosphere by man’s activities will
have a large influence on the climate of the next century. The identification of
the climatic impact produced by the rapid increase in carbon dioxide concentration in recent decades is made difficult by the strong interannual climate
variability. Statistical techniques are required to combine several climatic
indicators (method of climatic “fingerprints”) to improve the detection of a
possible anthropogenic perturbation. In this paper we review the evolution
through the last decades of several climate indicators showing global warming, its geographical distribution, sea level, the hydrological cycle and the
response of vegetation, and we compare them to the model results predicted in
climate scenarios. The coherence between model results and observed climatic
trends shows that the additional greenhouse effect is starting to become detectable in recent climatic data.
La Météorologie 8e série - n° 28 - décembre 1999
INTRODUCTION
13
Le climat terrestre fluctue sur une très large gamme d’échelles temporelles,
depuis les fluctuations à plus court terme, qui concernent la variabilité mensuelle
et saisonnière, et les fluctuations interannuelles, dont l’exemple le plus connu est
celui de l’Oscillation australe et du phénomène El Niño (Enso), résultant de
l’interaction entre l’atmosphère et l’océan superficiel tropical (Philander, 1990),
jusqu’aux fluctuations décennales et centenaires, mettant en jeu les interactions
entre l’atmosphère, l’hydrologie continentale et l’océan profond, ainsi qu’aux
fluctuations à l’échelle de plusieurs dizaines de millénaires, telles que la succession des périodes glaciaires et interglaciaires liées aux perturbations astronomiques de l’orbite terrestre – théorie de Milankovitch (Berger, 1988).
L’homme est, par ailleurs, en train de modifier globalement les propriétés chimiques de l’atmosphère, en y injectant des quantités croissantes de gaz radiativement actifs (les gaz à effet de serre, GES) produites par ses activités industrielles
ou agricoles. Les conséquences prévisibles de cette évolution de la composition
chimique de l’atmosphère conduisent à un réchauffement du climat, et particulièrement de la basse atmosphère, sur une échelle de temps se mesurant en décennies.
La question abordée dans cette note de synthèse concerne la possible détection
et l’identification d’un « signal » climatique résultant de l’action anthropique, au
sein du « bruit » issu de la variabilité naturelle du climat. Pour ce faire, un certain
nombre d’observations climatiques sont passées en revue et discutées en termes
d’appartenance possible au signal anthropique.
Aucune de ces observations n’étant encore suffisante en elle-même pour permettre de trancher indubitablement la question, il est nécessaire, pour dégager la
meilleure réponse possible, non seulement de recourir au faisceau complet que
ces observations représentent, mais aussi de les discuter par rapport aux prédictions de la réponse du système climatique à l’augmentation de la quantité des
GES qui sont fournies par les modèles couplés océan-atmosphère.
DES PRÉDICTIONS DES
MODÈLES CLIMATIQUES
AUX OBSERVATIONS
Le réchauffement global
Six paramètres climatiques sont successivement examinés et présentés par
ordre décroissant quant à leur signification vis-à-vis de la mise en évidence du
signal anthropique de réchauffement dû à l’augmentation de l’effet de serre.
Les modèles climatiques indiquent, depuis maintenant près de vingt ans, que
sous l’action d’une augmentation de la quantité des GES, la température
moyenne à la surface de notre planète doit augmenter. Les chiffres de réchauffement moyen global les plus généralement cités sont compris dans une fourchette
comprise entre 1,5 K et 3,5 K pour la température à l’équilibre correspondant à
un doublement de la concentration du gaz carbonique atmosphérique (CO2) par rapport à sa valeur actuelle. Dans le cas
d’une augmentation graduelle du CO 2, le réchauffement
obtenu pourrait être un peu plus faible au moment du doublement, par suite de l’inertie thermique des océans qui peut
retarder d’une dizaine d’années leur mise en équilibre. À titre
d’exemple, la figure 1 montre les résultats obtenus avec deux
modèles couplés océan-atmosphère constitués du même
modèle océanique, mais de modèles atmosphériques différents
(Barthelet et al., 1998). À l’horizon de soixante-dix ans, date
du doublement de la quantité de CO2 dans ces simulations où
le taux atmosphérique de CO2 est supposé augmenter de 1 %
par an, l’un des modèles indique un réchauffement de 1,6 K,
tandis que l’autre conduit à un réchauffement de 2 K. Il est à
signaler ici que les deux modèles présentés ne prennent pas
spécifiquement en compte l’effet modérateur d’une augmentation concomitante possible de la quantité d’aérosols.
Figure 1 - Évolution, pour les 80 prochaines années, de la
moyenne globale de la température de l’air à 2 m, en réponse à un
Toutefois, les modélisations climatiques prenant en compte
accroissement graduel de 1 % par an de la concentration du CO
ces effets conduisent aussi à prédire un réchauffement global,
atmosphérique, calculée selon deux modèles couplés : Arpège/
quoique d’amplitude un peu moins importante (Mitchell et al.,
Opaice (trait plein) et LMD/Opaice (tireté). Les valeurs annuelles
1995 ; Manabe et Stouffer, 1997 ; Hansen et al., 1997 ;
sont représentées en traits fins, et les moyennes glissantes sur
cinq ans en traits gras. (D’après Barthelet et al., 1998)
Carnell et Senior, 1998 ; Reader et Boer, 1998).
2
La Météorologie 8e série - n° 28 - décembre 1999
14
0,5
0,4
Hém. nord
Hém. sud
globale 5 ans
0,3
Anomalie (˚C)
0,2
0,1
0,0
-0,1
-0,2
Figure 2 - Évolution de la température
moyenne de l’air pendant la période 18601997, calculée à partir des observations terrestres et maritimes (Jones, 1994 ; Parker et
al., 1994). Les triangles représentent les
moyennes des hémisphères nord (pointe en
haut) et sud (pointe en bas), la courbe en
trait plein une moyenne glissante sur cinq
ans. (Données de P. Jones, disponibles au
Climatic Research Unit,
-0,3
-0,4
-0,5
-0,6
1850
1870
1890
1910
1930
Année
1950
1970
1990
http://www.cru.uea.ac.uk/cru/data/temperat.htm)
L’évolution de la température atmosphérique globale moyenne observée depuis
environ un siècle est représentée sur la figure 2. On y constate deux éléments particulièrement notables. D’une part, la croissance de la température globale depuis le
début du siècle a été de l’ordre de 0,6 K (avec des paliers et des accélérations
non sans similitudes avec la courbe la plus basse de la figure 1). D’autre part, la
décennie la plus récente est aussi la plus chaude jamais enregistrée depuis
qu’existent les réseaux météorologiques. Ces deux éléments sont ceux les plus
couramment invoqués (Houghton et al., 1996) pour confirmer le début d’apparition de la réponse climatique à l’effet de serre additionnel.
Figure 3 - Évolution du niveau moyen de la
mer (en cm) au cours des cent dernières
années, par rapport au niveau moyen pour la
période 1951-1970. Les cercles reliés par une
ligne en trait fin représentent les valeurs
annuelles, la courbe en trait épais leur
moyenne mobile sur cinq ans. (D’après
Gornitz, 1995)
8
6
4
Centimètres
2
0
-2
-4
-6
-8
-10
-12
1880
1900
1920
Année
1940
1960
1980
La Météorologie 8e série - n° 28 - décembre 1999
15
L’élévation du niveau
de la mer
mm
Si l’estimation de la température moyenne de la surface de la planète n’est pas
un exercice sans difficulté (Jones, 1995 ; Basist et Chelliah, 1997), il existe un effet
assez directement lié à ces aspects thermiques, mais dont l’estimation ne pose pas
les mêmes problèmes : la variation du niveau moyen des océans
1993
1994
1995
1996
1997
1998
0,5
25
(Le Provost, 1991 ; Pirazzoli, 1996). Ces variations sont dues à
0,4
20
T
plusieurs facteurs, tels que les variations isostatiques, les
H
0,3
15
rebonds glaciaires, la variation du volume des glaces continen0,2
10
0,1
5
tales, et, principalement, à l’effet de dilatation de l’eau de mer,
0,0
0
ce dernier représentant actuellement environ la moitié du signal
-0,1
-5
total. Les mesures sur la durée du siècle passé qui sont présen-0,2
-10
tées sur la figure 3 confirment qu’une élévation continue est en
-15
-0,3
-20
-0,4
cours, avec une amplitude de l’ordre de 10 cm par siècle
-0,5
-25
(Gornitz, 1995). Cet ordre de grandeur, mesuré à partir de
Cycle orbital Topex-Poseidon
réseaux in situ, est confirmé directement à l’échelle globale par
les mesures du satellite altimétrique Topex-Poseidon : l’analyse
Figure 4 - Variations du niveau moyen de la mer (H, en mm) et
des données reçues depuis la mise en orbite du satellite indique,
de la température de surface d’océan (T, en °C) pendant la
en effet, un taux moyen annuel d’élévation du niveau de la mer
période décembre 1992 à mai 1998, selon les mesures de Topexde 1 mm par an, cf. figure 4 (Cazenave et al., 1998).
Poseidon. (D’après Cazenave et al., 1998)
10 20
25 30
40 50 60 70
80 90 100 110 120 130 140 150 160 170 180 190 200 210 220 230
La distribution spatiale
du réchauffement
De façon probablement plus convaincante, il faut souligner que, non seulement la
température moyenne de la planète augmente actuellement à un rythme compatible avec
celui prédit par les modèles en réponse à l’effet de serre additionnel, mais aussi que la
distribution géographique du réchauffement observé, avec des régions de haute latitude
beaucoup plus affectées pendant l’hiver correspondant (figure 5), est tout à fait semblable à celle issue des prédictions par modélisation (figure 6, Barthelet et al., 1998).
Figure 5 - Répartition géographique
des tendances des températures
annuelles (en degrés par siècle),
calculées sur la période
1891-1990 à partir
des données d’observation
sur une grille de 5° x 5°
(Jones, 1994) disponibles
au Climate Research Unit
(http://www.cru.uea.ac.uk/cru/data/temperat.htm).
Figure 6 - Répartition géographique
du réchauffement en surface pour la période
de doublement de la concentration du CO2
atmosphérique, calculée par deux modèles
couplés selon le scénario de la figure 1.
(D’après Barthelet et al., 1998)
,
La Météorologie 8e série - n° 28 - décembre 1999
16
Cette ressemblance peut être formalisée par le calcul d’un coefficient de corrélation entre les cartes de la répartition spatiale des tendances climatiques observées et
les cartes de la réponse à l’augmentation de l’effet de serre prévue par le modèle,
puis testée par des méthodes statistiques rigoureuses (Hegerl et al., 1996).
Cette méthode, qui consiste à comparer la forme du signal climatique observé à
des réponses types produites par divers forçages, est connue sous le nom de
méthode des « empreintes climatiques » (fingerprints). Cela peut permettre de
reconnaître et de séparer les réponses climatiques provenant de différents forçages tels que l’insolation, le gaz carbonique, les éruptions volcaniques, les aérosols d’origine anthropique, à condition d’avoir pu déterminer au préalable leurs
réponses caractéristiques à l’aide d’un modèle adéquat. Par exemple, une augmentation de l’insolation produit un réchauffement troposphérique assez semblable à celui des GES, mais ne produit pas le refroidissement stratosphérique
caractéristique lié à l’effet de serre, tandis que le forçage par les aérosols est
limité au voisinage des sources sur les continents de l’hémisphère nord. On voit
donc que la combinaison de plusieurs types de données climatiques, en surface et
en altitude, peut fournir des indices très précieux sur les causes des fluctuations climatiques. Cette méthode des empreintes a été mise en œuvre récemment dans plusieurs études (Santer et al., 1995 ; Tett et al., 1996), qui ont conclu que les
tendances observées au cours des dernières décennies pouvaient être attribuées en
grande partie aux activités humaines, notamment à l’action combinée de l’effet
global du gaz carbonique et de l’effet local des aérosols contenant du soufre.
De simples considérations qualitatives sur la physiologie des plantes indiquent
qu’en présence simultanée d’un accroissement de la quantité de gaz carbonique
et d’une élévation de la température, si celle-ci est suboptimale, comme c’est
généralement le cas aux moyennes et hautes latitudes, et à la condition que la
ressource en eau ne devienne pas un facteur limitant, la photosynthèse et la production de biomasse doivent augmenter (Cure et Acock, 1986 ; Allen et al.,
1996), fait confirmé quantitativement par des études en chambre-laboratoire
(Casella et al., 1996 ; Mousseau et al., 1996 ; Saugier, 1998).
c
Accroissement en surface terrière (cm2 )
a
Accroissement en surface terrière (cm 2)
Accroissement en surface terrière (cm2 )
L’augmentation de l’amplitude du cycle annuel du CO2 atmosphérique, observée
depuis 1960 (20 % à Mauna Loa et près du double autour de l’Arctique), indique
une assimilation accrue du CO2 par la végétation, qui ne peut être interprétée que
par un allongement de la saison de croissance, en réponse à un réchauffement des
hautes latitudes de l’hémisphère nord en hiver et au printemps, la stimulation de la
photosynthèse par l’augmentation concomitante du CO2 ne pouvant expliquer par
elle-même que moins de 10 % du signal (Keeling et al., 1996). Ce résultat a été
confirmé par des observations par satellite des indices de végétation (NDVI),
Accroissement en surface terrière (cm 2 )
L’augmentation
de croissance
de la végétation
b
d
Figure 7 - Augmentation depuis 1850 de la croissance radiale (mesurée en cm2 de surface terrière) de quatre essences forestières de l’Est de la France (d’après Becker et al., 1995) : (a) du
sapin, (b) de l’épicéa, (c) du hêtre, dans les Vosges, et (d) du chêne sessile, sur le plateau lorrain.
La Météorologie 8e série - n° 28 - décembre 1999
17
Figure 8 - Réponse du taux de précipitation P et d’évaporation E (a), et de
leur différence représentant le bilan hydrique en surface P-E (b), en mm par
jour, calculés par un modèle couplé, pour la période de doublement du CO2
atmosphérique dans le scénario de la figure 1. (Barthelet et al., 1998)
mm/jour
a 0,4
0,2
0,0
Précipitation
Évaporation
0,2
90
60
30
0
30
Latitude (degrés)
60
90
-0,3
-90
-60
-30
0
30
Latitude (degrés)
60
90
b 0,5
0,4
0,2
0,1
0,0
-0,1
-0,2
L’accélération
du cycle hydrologique
Au-delà d’une augmentation de la température et des effets qui lui sont thermiquement et directement liés, une question cruciale concerne l’existence de possibles altérations du cycle hydrologique global, principalement à travers son maillon
atmosphérique : évaporation, transport vertical et horizontal, précipitation, ruissellement des eaux de surface (Chahine, 1992). Bien que ces paramètres climatiques soient
parmi les plus difficiles à estimer et à modéliser, quelques indications semblent confirmer l’existence d’une concomitance entre réchauffement et perturbations du cycle
hydrologique de la planète, avec notamment une augmentation de l’intensité et de la
fréquence des fortes précipitations (Karl et Knight, 1998).
La figure 8, tirée de Barthelet et al. (1998), indique que, dans une atmosphère
enrichie en gaz carbonique et subissant un effet de serre additionnel, l’intensité
du cycle hydrologique global augmente d’environ 3 % (figure 8a), l’intensification étant particulièrement sensible dans les régions équatoriales et dans celles de
moyennes et hautes latitudes et étant accompagnée d’une stagnation, voire d’un
3,4
Nombre de recyclages par mois
mm/jour
0,3
indiquant une augmentation de la photosynthèse et un allongement de douze jours de la saison de croissance active entre 45 et
70° N au cours de la décennie 1981-1991 (Myneni et al., 1997).
Un inventaire des ressources forestières européennes a montré
que leur biomasse a effectivement augmenté de 1971 à 1990
(Kauppi et al., 1992). Il existe malheureusement très peu de
mesures de la biomasse à l’échelle globale sur des durées suffisamment longues pour pouvoir être interprétées par rapport au
climat de la totalité du siècle écoulé. Toutefois, les mesures de
croissance radiale, opérées par les forestiers de l’Inra sur
quelques espèces lorraines et vosgiennes, montrent une augmentation indubitable depuis 1850, cf. figure 7 (Becker et al., 1995).
3,3
3,2
3,1
3,0
2,9
2,8
2,7
1.1.88
1.1.89
1.1.90
1.1.91
1.1.92
1.1.93
1.1.94
Date
Figure 9 - Variations mensuelles et tendance du taux de recyclage (en nombre de recyclages par
mois) de la vapeur d’eau précipitable entre 60° S et 60° N pour la période 1988-1994. L’accroissement annuel moyen pour la période 1988-1994 est de 0,4 ± 0,5 %. (D’après Chahine et al., 1997)
18
La Météorologie 8e série - n° 28 - décembre 1999
Figure 10 - Réponse à un doublement du CO2 atmosphérique du taux de précipitation sur l’Europe
(en mm par jour) en été boréal (juin-juillet-août) calculé par le modèle de climat de Météo-France
avec une résolution accrue sur l’Europe. (D’après Déqué et al., 1998)
Figure 11 - Anomalies de précipitation sur l’Europe (en mm par jour) pendant l’été boréal de la
période 1981-1995 par rapport à la période de référence 1951-1980 (calculées à partir d’observtions
cartographiées sur une grille de 2,5° x 3,75 ° par Hulme (1992), disponibles au Climatic Research
Unit, http://www.cru.uea.ac.uk/cru/data).
ralentissement (marqué par un excès de l’évaporation sur les précipitations) dans les
régions entre 20° et 45° de latitude (figure 8b). Les rares mesures relatives à ces paramètres et disponibles à l’échelle globale paraissent cohérentes avec ces prédictions
(figure 9, Chahine et al., 1997) et montrent une tendance à l’augmentation du taux de
recyclage de l’eau précipitante. Ce taux de recyclage est défini comme le rapport du
taux de précipitation mensuel et du contenu moyen en eau précipitable de l’atmosphère pendant la même période ; il correspond à l’inverse du temps de résidence
moyen de la vapeur d’eau atmosphérique, qui est de l’ordre d’une dizaine de jours.
Les variations régionales
des précipitations
Tout comme dans le cas de la température, l’examen des distributions géographiques des variations peut se révéler au moins aussi informatif que l’examen
des valeurs moyennes globales. La figure 10 (Déqué et al., 1998) indique qu’un
modèle d’atmosphère soumis à un doublement de la quantité de gaz carbonique
prédit, en accord avec les résultats présentés plus haut, une diminution des
La Météorologie 8e série - n° 28 - décembre 1999
19
précipitations autour du bassin méditerranéen pendant l’été boréal. Les
mesures traitées par Hulme (1992) montrent un effet semblable sur les quinze
dernières années (figure 11) et sont compatibles avec le dipôle « assèchement
méditerranéen »–« humidification sur l’Europe de l’Ouest et du Nord » visible
sur la figure 10.
Il faut bien sûr souligner ici l’extrême variabilité des précipitations et la difficulté à interpréter une variation mesurée en une partie du globe comme le signe,
à elle seule, de l’effet de serre additionnel. Toutefois, lorsqu’elles se manifestent
en conjonction avec un ensemble d’autres facteurs, comme on le montre ici, ces
variations doivent être prises en considération, ne serait-ce que pour en assurer la
surveillance à long terme, seule susceptible de permettre une interprétation pleinement convaincante.
ÉVOLUTION
ANTHROPIQUE,
FLUCTUATIONS
NATURELLES
ET BILAN
Un ensemble d’indicateurs convergents vient d’être présenté, qui montre que
les effets du réchauffement lié à l’effet de serre additionnel ont très probablement
commencé à se manifester. Ce signal lié à la perturbation anthropique est bien
sûr encore du même ordre de grandeur que les fluctuations climatiques considérées comme naturelles, parmi lesquelles les grands épisodes de l’Oscillation australe ou Enso (Philander, 1990 ; Battisti et Sarachik, 1995) sont les plus connus
(figure 12).
Deux remarques doivent être faites à ce stade.
Il est tout d’abord habituel, et justifié sur le principe, d’attirer l’attention sur le
caractère encore incomplet, du point de vue de la physique et de la complexité
des phénomènes pris en compte, des modèles climatiques, dont on a vu ici à quel
point ils sont consubstantiels à l’étude et à la mise en évidence du réchauffement
global. Or, ces modèles sont fondamentalement les mêmes que ceux utilisés pour
faire la prévision météorologique opérationnelle et qui sont donc, à ce titre, validés
quotidiennement, plus qu’aucun autre modèle de géophysique. Qui plus est, ces
modèles sont aussi ceux qui sont mis en œuvre pour prédire les fluctuations à court
terme du climat, comme les épisodes Enso. La figure 13 permet de juger directement et quantitativement de la qualité de tels modèles, évaluée par leur capacité à
prédire tant l’apparition que l’intensité et la disparition de l’épisode exceptionnel
intervenu en 1997-1998.
Il est ensuite intéressant de souligner que Trenberth et Hoar (1997) ont confirmé, par
une analyse statistique, une augmentation de la fréquence des épisodes El Niño depuis
1976 (figure 14). Un certain nombre de simulations couplées récentes montrent une
telle tendance à l’augmentation de la fréquence des épisodes El Niño accompagnant le
réchauffement global (Meehl et Washington, 1996 ; Knutson et al., 1997). Les épisodes
El Niño pourraient alors être considérés comme une autre manifestation du surplus
d’énergie parvenant au sein du système climatique, qui serait ainsi partiellement évacué
par des bouffées plus fortes et plus fréquentes.
Figure 12 - Anomalie des températures de l’océan à 10 m de profondeur au cours d’un épisode El Niño (anomalie moyennée sur sept jours autour du 18 janvier 1998), selon les analyses
du Centre européen pour les prévisions à moyen terme (CEPMMT, Reading), disponibles sur la
page du ECMWF’s Seasonal Forecast Project (http://www.ecmwf.int/html/seasonal/index.html).
Les isolignes représentent la température potentielle tracée de °C en °C.
La Météorologie 8e série - n° 28 - décembre 1999
20
Figure 13 - Prévision saisonnière expérimentale de l’évolution de
l’anomalie des températures en surface dans le Pacifique équatorial (région Niño-3), réalisée avec un modèle couplé
océan-atmosphère au CEPMMT. La courbe en gras représente
l’évolution observée, les courbes en trait fin un ensemble de prévisions décalées dans le temps (disponibles à :
http://www.ecmwf.int/html/seasonal/forecast/index.html).
Le Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution
du climat (GIEC/IPCC) exprime maintenant clairement le
bilan de l’ensemble des éléments disponibles quant à la mise
en évidence des premières manifestations de l’effet de serre
additionnel. Pour reprendre les têtes de chapitre de son rapport
de 1995 (Houghton et al., 1996) :
- Greenhouse gas concentrations have continued to increase... (Les
concentrations des gaz à effet de serre ont continué à croître...) ;
- Anthropogenic aerosols tend to produce negative radiative
forcings... (Les aérosols d’origine anthropique tendent à produire des forçages radiatifs négatifs...) ;
- Climate has changed over the past century... (Le climat a
changé au cours du siècle passé...) ;
- The balance of evidence suggests a discernable human
influence on global climate... (Le bilan des preuves suggère
une influence humaine discernable sur le climat global...) ;
- Climate is expected to continue to change in the future... (On peut
s’attendre à ce que le climat continue à changer dans l’avenir...) ;
- There are still many uncertainties. (Il y a encore de nombreuses incertitudes).
Il faut souligner, en terminant, que l’existence de ces incertitudes n’entraîne
pas que l’hypothèse qualitative de l’existence du réchauffement global soit
remise en cause. À cet égard, il n’est pas sans intérêt de remarquer que, au
moins à la connaissance des auteurs, aucune étude scientifiquement documentée
n’a été publiée – dans les journaux et revues à comité de lecture – qui conduise à
des conclusions qualitativement différentes. Quelques chercheurs ont évoqué la
possibilité de mécanismes, par exemple une déshydratation de la haute troposphère (Lindzen, 1990), qui seraient susceptibles de compenser en partie le
réchauffement directement et radiativement lié à l’accroissement de la quantité
de gaz carbonique. De même, Idso (1998), qui exprime depuis longtemps son
4
3
Anomalie (˚C)
2
1
0
-1
-2
1950
1960
1970
1980
1990
2000
Année
Figure 14 - Évolution observée depuis 1950 des anomalies de la température de surface de
l’océan dans le Pacifique équatorial (région Niño-3 : 5°S-5°N ; 150°W-90°W). Les cercles
représentent les valeurs mensuelles, la courbe en trait plein une moyenne mobile sur un an. Les
fortes anomalies positives correspondent aux événements chauds El Niño.
(Source des données : Climate Prediction Center, NOAA, US Department of Commerce,
http://nic.fb4.noaa.gov/data/cddb/ )
La Météorologie 8e série - n° 28 - décembre 1999
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scepticisme concernant l’augmentation de l’effet de serre, évoque la possibilité
de rétroactions liées à une possible augmentation des émissions de DMS par la
biosphère marine, en réponse au réchauffement de l’océan superficiel, qui
conduirait à une augmentation des noyaux de condensation pouvant modifier les
propriétés radiatives des nuages. Bien que de tels mécanismes apparaissent plausibles, ils n’ont pas encore fait l’objet d’études quantitatives suffisantes pour que
l’on puisse apprécier leur ordre de grandeur, et demeurent donc hypothétiques.
En l’état actuel des connaissances, l’estimation de l’intensité du réchauffement
global et de ses effets reste encore relativement imprécise, mais rien ne justifie
une remise en cause du signe du changement climatique attendu.
Remerciements
Nous tenons à remercier Anny Cazenave, Pierre Barthelet et le Hadley Center
pour nous avoir fourni des résultats non encore publiés.
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